Sortie de ta torpeur par le cahot du bus s’engageant dans l’allée principale, tu te redresses et observe par la fenêtre. Tes yeux s’émerveillent devant l’immense manoir prêt à vous accueillir, et ses jardins parfaitement apprêtés pour l’occasion. Qui aurait cru a l’existence si bel endroit aux abords du sinistre bois hurlant, dont tu n’as pas vu les sombres couleurs.

Incertaine dans ta capacité à compter les heures passées à dormir, tu t’inquiètes à propos de la créature t’accompagnant dans ce voyage. Tu sais ta Feuforêve à la fois sociable et espiègle, un brin mégalomane. Tu espères qu’elle n’aura attiré d’ennuis à personne alors que les bras de Morphée t’accueillaient. Un sourire soulagé égaye ton visage lorsque tu découvres ta partenaire voletant sagement à côté de toi, curieuse de la vue extérieur.

Le véhicule s’arrête. Tes bagages en main, tu patientes une poignée de secondes que le couloir se vide de son monde, puis te dirige vers la sortie. A l’instant où tes pieds se posent sur le sol, un sol tel que tu n’en foulera plus de si tôt après ce séjour exceptionnel, une certain excitation teinté de crainte t’envahit. Cernée de ces personnes dont tu ne connais rien, ou que tu n’identifie que trop bien, t’intimide.

Dès l’instant où tes yeux se sont posés sur elle, tu as su qui elle était. Tu ne peux que reconnaître la Miss Lumiris actuelle, perdue au milieu de ses confrères et consoeurs pléiades. Immédiatement, ton esprit divague vers des idées que tu aurais voulu laisser derrière toi. Des pensées qui t’assaillent, encore, pour remettre en question ta légitimité dans ce milieu qui est le tien, et celle de ta présence ici.

Pas certaine d’avoir ta place parmi ces personnes, quand bien même la plupart sont comme toi, anonymes, tu emboîte néanmoins le pas au majordome. Son professionalisme te guide jusqu’à ta chambre, où tu dépose tes bagages. Ravie de se retrouver seule avec toi, ayant jusqu’ici difficilement contenu son excitation à ta demande, la fantômette virevolte avec énergie à travers la pièce.

-Kesla, s’il te plaît, reste tranqui...

Sans t’écouter, la créature s’enfonce dans le mur à ta droite, visitant à l’improviste l’occupant de la chambre voisine. De honte, plus que d’agacement, ta voix s’élève immédiatement:

-KESLA !

Un sermon trop fort pour toi, pas assez autoritaire pour les autres. La créature reparait entre les quatre murs que tu empruntes le temps du séjour, sa joie à peine dissimulée. Tu soupire, l’oreille tendue, de crainte d’entendre une quelconque plainte venue de la pièce voisine.

-On va sortir visiter les jardins, tu veux ? Tu pourras te défouler un peu plus, d’accord ?

Abandonnant tes effets personnels, tu n’embarques avec toi que ton sac à dos et ton téléphone pour te rendre à l’extérieur et visiter le domaine.

Le temps grisonnant comme plafond, tu déambules au hasard à travers les luxueux jardin que tu côtoiera durant la prochaine semaine, à défaut d’en faire de même avec les personnes que tu fréquentera sur cette même durée. La compagnie du décor te parait moins intimidante que celle de tes pairs, que tu auras, de toute façon, bien l’occasion d’apprendre à connaître au cours des différentes activités auxquelles vous serez conviés.

Kesla, enjouée, émerveillée, pleine de curiosité, ne cesse de s’éloigner pour satisfaire sa soif de découverte, puis de revenir vers toi une fois celle-ci épanchée. Si tu lui laisse suffisamment de liberté dans ses escapades, tu t’assures toutefois qu’elle n’ennuie personne. Quoiqu’étant donné la taille des jardins, vous ne croisez que peu de monde.

Une rencontre, une seule, te surprend au milieu de la verdure. Une femme, plus jeune, plus populaire et plus élégante que toi, elle aussi dresseuse de Pokémon spectre, croise ta route. Tu te fais discrète, lorsqu’elle t’aborde. Souriante, la vois pas bien forte, tu fais de ton mieux pour ne pas paraître trop asociale, trop bizarre. Tu n’es rien de tout ça. Ce ne sont que les impressions que tu as peur de laisser derrière toi. Tu as beau apprécier les rencontres et la compagnie d’autrui, tu ne sais jamais comment te comporter en présence d’inconnus, que tu remercies parfois silencieusement d’être venus t’aborder pour que tu n’aies pas à le faire.

Vos noms, quelques mots et formalités échangées à côté de Kesla et son désir de se rendre intéressante, puis Maya et toi repartez chacune de votre côté, satisfaites d’avoir placé quelques étiquettes sur les visages l’une de l’autre.

Quelques gouttes commencent doucement à te tomber sur les joues. Le vent, dont le souffle s’élève doucement, suffit à te convaincre de rentrer. Tes pas te mènent jusqu’à l’allée principale du domaine, pressés par la météo changeante, presque oppressante tant son changement se fait rapide.

Tu es alors abordée par une autre femme, autre inconnue, visiblement essoufflée et arrivant presque à temps pour se mettre à l’abri du mauvais temps. Son étrange question te surprend, particulièrement face à l’effort qu’elle même semble d’avoir fourni à l’instant.

-Euh… Non, je…

Flash. Grondement. Douche gelée. Tu frissonne, de froid et de surprise. Comme lancée à l’assaut par le coup de tonnerre, le vent et la pluie s’emballent de plus belle, coupant court à cette nouvelle rencontre. Ensemble, vous vous ruez au pas de course vers l’entrée la plus proche, ou nombre de personnes surprises par l’orage soudain sont déjà réunies.

Tes vêtements trempés et alourdis en quelques secondes dégoulinent sur le sol carrelé du manoir. Rapidement, on vient te donner à toi aussi de quoi te sécher. Tu remercie l’employée et accepte la serviette. Un nouvel éclair vient déchirer le ciel. Ton stress monte d’un cran. Tu détestes les orages. Si tu n’en es pas encore au stade de la phobie, tu n’en es pas loin.

Tes yeux se posent sur l’extérieur depuis la fenêtre, alors que résonne en fond l’étrange entrée fracassante de ta dernière rencontre ainsi que d’autres éclats de voix. Une toile de tente, aux prises avec le vent, traverse le jardin, laissant le buffet qu’elle protégeait à la merci de l’eau, qui commence déjà à ruisseler, à s’accumuler.

Rendue anxieuse, tu te détourne de ce spectacle au moment où de petits poings viennent doucement frapper ton dos. La serviette mouillée maintenue autour de tes épaules, tu te retrouves face à une Fragilady aperçue un peu plus tôt, sans que tu ne réussisses à remettre l’identité de son propriétaire. L’air visiblement contrarié, tu te penches à sa hauteur.

-Salut, toi. Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Demandes-tu avec la douceur et la bienveillance dont tu sais faire preuve.

Non loin de là, tu aperçois ta Feuforeve s’évertuer à faire ce qu’elle fait de mieux. Lévitant au dessus des têtes, la créature spectrale enchaîne grimaces, acrobaties et fredonnements niais. Tu la reconnais bien là. Tristesse, agacement, colère, inquiétude… Tu sais ta partenaire très sensible aux émotions négatives et ces lieux, malgré tout, n’en manquent pas. C’est donc là l’occasion parfaite pour elle de se faire remarquer, d’attirer les regards, et de provoquer l’amusement si ce n’est le rire. Parce que Kesla est ainsi, à préférer faire fuir les mauvaises ondes plutôt que de s’en nourrir.

L’obscurité s’abat soudainement sur le manoir quand les ampoules s’éteignent. Machinalement, tes yeux se lèvent vers les ampoules du plafond avant de redescendre vers la fenêtre. Silencieuse, à l’écart du groupe, tu te mêles peu aux autres. Toutefois, plutôt que de retourner t’enfermer dans ta chambre en attendant que l’orage et les heures passent, tu préfères rester là où les conversations s’élèvent et où les nouvelles quant à la situation vous parviennent.

Tu angoisses à l’idée de retourner là-haut, dans une obscurité sans bruit où tu serais seule. Et pourtant, tu ne peux t’empêcher, ici aussi, de sentir ta sérénité te quitter à mesure que tu observes l’eau monter à travers le carreau. Tu revois ces images d’horreur vues à la télé. Ces documentaires où les flots envahissent les villes, emportent les voitures, ravagent les habitations. Tu ne peux t’empêcher de songer à quel point l’eau peut être destructrice, inquiétante, imprévisible.

Être ici, avec toutes ces personnes, te rassure. Tu n’es pas seule. Et le danger ne semble pas vraiment là. Entré, certes, dans les souterrains. Tu l’as entendu quand bien même l’informations fut discrète. Mais ce ne sont que des pièces sous la terre. Plus basses encore que les flaques grandissantes que tu observes par la vitre. Tu n’as rien à craindre de l’eau des celliers.

Machinalement, tu viens triturer le bracelet à ton poignet. Tes doigts ne rencontrent que ta peau, et tu réalises la disparition du bijou. Déçue, légèrement agacée, tu te demandes quand tu l’as perdu. Un coup d’oeil rapide au sol te fait comprendre qu’il n’est pas là. Probablement dehors. Imbibé par la pluie, emporté par le vent. Tu ne t’en offusques pas, il n’avait rien de sentimental ou de précieux. Tant pis.

Kesla, elle-même fatiguée de ses âneries et de sa sociabilité, revient vers toi. Elle a conscience qu’un manoir plongé dans l’obscurité un soir d’orage est le meilleur décor pour jouer les terrifiants fantômes. Elle sait aussi que tu ne serais pas d’accord pour qu’elle le fasse. Il ne faut donc pas qu’elle le fasse trop, où tu risquerais d’y prêter attention et de l’apprendre.